vendredi 18 mars 2011

La France des mal-logés

« Je veux, si je suis élu président de la république, que d’ici à 2 ans, plus personne ne soit obligé de dormir sur le trottoir et d’y mourir de froid. Parce que le droit à l’hébergement, je vais vous le dire, c’est une obligation humaine. Mes chers amis, comprenez le bien : si on n’est plus choqué quand quelqu’un n’a pas de toit […], c’est tout l’équilibre de la société qui s’en trouvera remis en cause. »

Nicolas Sarkozy, à Charleville-Mézières, le 18/12/2006



Et pourtant. Malgré les beaux discours, la crise du logement s’est aggravée. Pas moins de 3, 6 millions de français seraient mal-logés selon le 16ème rapport de la fondation Abbé Pierre publié fin janvier, dont 33 000 personnes démunies qui vivent sur le trottoir (l’estimation se porte à 133 000 sdf en prenant la définition de l’INSEE). Des chiffres qui choquent lorsqu’ils sont annoncé au journal de 20h alors que la plupart d’entre nous ne voient plus ces exclus du logement, ces « parias » lorsqu’ils sont dehors. Pourtant, ils ne doivent pas être traités comme des citoyens de seconde zone, auxquels on refuse l’accès à certains lieux publics ou touristiques. Les parcours de vie qui mènent à la rue sont très variés et souvent inattendus. Certains français en ont conscience puisque 50% d’entre nous craignons de nous retrouver un jour à leur place.

D’où vient cette recrudescence du nombre de mal-logés dans l’hexagone? Faute à la crise économique pour les élus de tendance droite, aux politiques publiques centrées sur le « Tous propriétaires » pour l’opposition.

Il est vrai que la construction de logements sociaux est insuffisante, bien qu’en forte hausse (131.509 nouveaux logements sociaux créés en 2010, ce qui constitue un «record absolu depuis 30 ans» selon le secrétaire d'État au Logement Benoist Apparu). De plus, la loi DALO (Droit Au Logement Opposable) peine à s’appliquer. Dans les grandes villes, de nombreux bâtiments restent vacants plusieurs années et participent ainsi à la spéculation financière.

Les prix de l’immobilier, après s’être envolés avec la crise économiques jusqu’en 2008, ont enregistré un léger recul en 2009 pour finalement retrouver et dépasser le niveau de 2008. La situation est surtout grave en Ile-de-France et à Paris où les loyers à la relocation ont augmenté de 50% en 10 ans alors que les salaires en France n’ont progressé que de 1,3 % (le salaire brut moyen est passé de 2140 euros en 2000 à 2773 euros en 2008). Les minima sociaux (RSA) ne permettent pas d’accéder à la location dans les grandes villes et les conditions d’accès sont difficiles à réunir pour les ménages modestes (garant, 1 à 3 mois de loyer d’avance, frais d’agences, etc.).


Un large éventail de victime


A côté des traditionnels « clochards », les associations d’aides aux plus démunis témoignent voir de plus en plus de profils atypiques parmi les sans-abris et les mal-logés qui demande leur aide. Les jeunes sont devenus les victimes emblématiques de cette crise, les femmes seules avec enfants sont aussi sur-représentées dans les foyers d’accueil d’urgence. De plus en plus de français ne peuvent pas finir le mois et payer leur loyer sans aide alimentaire ou financière de la part de l’Etat ou des associations caritatives : c’est le cas d’un nombre croissant de retraités, de salariés précaires, d’intérimaires, de commerçants, d’auto-entrepreneurs, d’étudiants ou encore d’intermittents du spectacle. Ces personnes se retrouvent souvent dans des « zones grises du logement » : hébergement chez des proches, hôtels, voiture, camping, squats, etc. Des solutions temporaires et insatisfaisantes.

Même les classes moyennes témoignent dans les médias de leurs difficultés à rester habiter dans des villes comme Paris. Ses familles doivent rogner sur les autres dépenses pour compenser la part grandissante du loyer et des charges dans leur budget. Pire encore, certaines se retrouvent prises au piège de l’accès à la propriété facile et se retrouvent surendettées. Beaucoup de familles sont au bord du gouffre chaque mois. Entre 2004 et 2008, 22% des ménages ont connus au moins une année de pauvreté.

Face à ce déluge de nécessiteux, les associations ont du mal à faire face. En hiver, les centres d’accueil d’urgences sont débordés, même lorsque le Plan Grand Froid est activé par l’Etat. Le froid, rappelons-le, n’est pas la première cause de décès chez les sdf, qui disent souffrir bien plus des fortes chaleurs, des agressions ou des maladies lorsqu’ils noient leur sentiment d’échec dans l’alcool ou les drogues. En 2009, 1,5 millions de personnes ont été aidées par le Secours catholique, 2 millions par le Secours populaire et 830 000 par les Restos du cœur et, même si ces chiffrent ne sont pas cumulables, ils montrent tout de même l’utilité de ses associations pour des millions de français.

Enfin, la rue et les logements précaires peuvent aussi être un passage ou un choix lorsque la personne a envie de liberté ou de se mettre en retrait du système : adolescents en fugue ou en rupture familiale, routards-voyageurs avec leurs sacs à dos ou leurs camions ou encore familles en « habitats choisis », c'est-à-dire en yourtes, roulottes, tipis ou cabanes en bois non reliées à l’eau courante et à l’électricité. Ces derniers sont menacés d’expulsion sans proposition de relogement depuis l’entrée en vigueur de la loi Loppsi 2 sur la sécurité intérieure (article 32 ter A) le 15 mars dernier. 600 000 personnes sont concernées et risquent de venir très prochainement grossir les rangs des « galériens du logement ».